Les Blasons
L’Héraldique : Un héritage qui remonte au 12ème siècle.
Les armoiries apparaissent en Europe occidentale dans le courant du 12ème siècle. Elles viennent de l’évolution de l’équipement militaire : les combattants portent des protections métalliques de plus en plus importantes (heaume, cotte de maille, casque avec nasal) qui les rendent méconnaissables. Ils ont besoin de signes de reconnaissance simples. Ils font peindre ces signes sur leur bouclier. Les croisades qui réunissent des chevaliers issus de nations différentes intensifient ce besoin de signes de reconnaissance. C’est l’origine des armoiries (le mot vient du mot armes et non du mot armoire!) qui gagneront ensuite les casques, les oriflammes et même les sceaux.
D’abord réservées aux seuls chefs de guerre les armoiries se généralisent à tous les chevaliers. En dehors des combats ces hommes s’affrontent aussi dans des joutes spectaculaires, les tournois où ils peuvent se défouler en jouant à la guerre. Les hérauts d’armes, anciens conseillers militaires, y deviennent les spécialistes qui annoncent les combattants, d’où le nom d’héraldique donné à la science du blason.
Peu à peu, la mode du blason gagne progressivement toute la noblesse mais aussi des prélats, de grands bourgeois, des villes ou des communautés villageoises, des corporations, des artisans…
Sur plus d’un million d’armoiries médiévales, un tiers ne relève pas de la noblesse.
Les règles du blason.
Je ne retiendrai ici que les éléments de base. L’écu est formé de deux éléments, les couleurs et les figures. Les couleurs sont peu nombreuses et plutôt vives ; elles se divisent en deux catégories, les métaux (or et argent) et les couleurs aux noms symboliques (gueules = rouge, sable = noir, azur = bleu, sinople = vert, pourpre = violet). Une règle simple s’applique presque sans exception : on ne superpose jamais 2 couleurs du même groupe.
Les figures sont variées surtout après le 14ème siècle. Ce sont surtout des animaux (comme le lion des Flandres), des végétaux (comme la fleur de lys) toujours stylisés et des figures géométriques. (barrières, bandes, pals, besants).
Seul l’aîné de la famille a le droit de porter le blason plein. Les enfants puînés doivent introduire des « brisures » qui coupent le blason en plusieurs quartiers.
Le recensement.
Louis XIV, soucieux de récupérer de l’argent, avait lancé l’idée d’un recensement général des armoiries en percevant à l’enregistrement une taxe. Cet armorial élaboré jusqu’en 1709 n’a jamais été publié mais les planches, conservées à la bibliothèque nationale, recensent plus de 120.000 armoiries. A ma connaissance, celles de Thumeries n’y figurent pas.
Mais un manuscrit de la bibliothèque de Lille décrit ainsi le blason de Thumeries :
« de gueule au nom de tumerie d’or mis en fasce entre 2 cotices du même »[1]
Voici une esquisse, réalisée par moi-même, de ce que devait être ce blason.
A la Révolution française l’assemblée constituante, soucieuse de faire disparaître les privilèges et les traces de la noblesse, fit une erreur historique en considérant que les armoiries étaient son emblème. (nous savons que bien des bourgeois et des artisans portaient aussi des armoiries). On a donc gratté, martelé, détruit beaucoup de ces écus de 1790 à 1796.
L’usage des armoiries a été rétabli, d’abord par Napoléon Ier en 1808 en faveur de la nouvelle noblesse qu’il mettait en place, puis en 1814 par la Restauration.
Dans notre région parut en 1905 sous la plume de Leuridan, archiviste du diocèse de Cambrai, un armorial des personnes, des institutions et des villes du Nord. Quand la ville n’en possède pas, il lui attribue les armes des Seigneurs du lieu ou de ceux qui ont marqué la ville le plus longtemps. Nous allons donc voir maintenant successivement les armoiries officielles de Thumeries et celles des seigneurs du lieu qui auraient pu nous être attribuées.
Les armoiries officielles
Leuridan présente ainsi les armes de Thumeries
« d’argent à trois pals de gueule et au canton dextre de sable au lion d’or »
les pals sont des pièces verticales qui divisent l’écu en 2-4 ou 6 parties. Le canton est une division au 1/3 du chef. Il se trouve à la dextre du chevalier, c’est à dire à droite et donc à gauche pour le spectateur. Il porte le lion traditionnel des Flandres. Ce dernier est inversé( jaune sur fond noir au lieu de noir sur fond jaune) peut être pour respecter la règle des émaux (on ne porte pas deux métaux l’un sur l’autre) au lieu de porter le lion de sable sur un fond or, on porte un lion d’or sur fond de sable, le tout sur un écu d’argent.
Leuridan ajoute que ce sont les armes traditionnelles de ce village. Cependant notre documentation est faible : aucun document du 19ème siècle ne nous est parvenu avec ces armoiries. Pourquoi cette brisure ? Si on conçoit facilement l’intégration du symbole des Flandres dans cet écu on ignore tout de la base : d’argent à trois pals de gueule. L’armorial de Leuridan comprend plus de 2.000 écus. Après consultation je n’ai trouvé que de rares écus « palés » et un seul aux mêmes couleurs (famille de Berchem, sans aucun lien apparent avec Thumeries ; Le mystère reste donc entier.
Les autres armoiries de Thumeries
Leuridan avoue que beaucoup de communes n’avaient pas d’armes et qu’elles avaient hérité de celles des seigneurs d’Ancien Régime. Voici donc ce qui aurait pu être retenu pour Thumeries.
Les armoiries de saint Piat
On les décrit ainsi :
« de gueule à un saint Piat vêtu d’ornements sacerdotaux tenant en ses mains le sommet de sa tête coupée et ayant à ses pieds un cerf couché, le tout d’or »
ce sont les armoiries de Seclin et de Chemy. Mais Thumeries aurait pu avoir les mêmes puisque le village dépendait aussi de la seigneurie des chanoines de Seclin comme l’atteste la bulle de Clément III parue en 1187.
Les autres familles nobles de Thumeries n’étaient pas au sens strict les seigneurs de Thumeries. On les nomme pourtant souvent ainsi. Propriétaires du château et de sa ferme ils étaient plutôt les mayors, les maires, chargés d’engranger pour les chanoines les gerbes de la dîme.
La première de ces nobles familles est celle de La Hamaide. Un de leurs ancêtres s’est illustré aux côtés de Godefroy de Bouillon lors de la première croisade. C’est probablement un de ses descendants qui a fait construire le château vers 1659 comme l’indique une pierre de seuil. Les armoiries, parmi les plus anciennes de la région, portent :
« d’or à trois hamaides de gueule »
les hamaides sont des figures héraldiques qui portent le nom même de cette famille et représentent une herse sarrasine stylisée un peu à la manière d’une barrière.
Les archives paroissiales gardent des traces de cette famille depuis 1660 jusqu’au mariage de l’héritière Agnès de la Hamaide avec Ferry Nicolas d’Esclaibes, seigneur d’Amerval (1665).
Le château porte d’ailleurs un bas relief qui évoque sans doute ce mariage : il présente( ci contre) un écu brisé en deux avec à dextre les hamaides et à senestre les lions des armes d’Esclaibes.
Les armes d’Esclaibes se décrivent ainsi :
« de gueule à trois lions d’argent couronnés d’or »
Plusieurs membres de cette famille ont été inhumés dans la nef de l’église paroissiale et certaines pierres tombales ont été regroupées dans les fonds baptismaux lors de la reconstruction de l’église en 1840.
Certaines communes ont hérité de ces armoiries comme Eclaibe (canton de Maubeuge), Avesnes les Aubert, Beaumont et Inchy dans le canton de Le Catteau.
La dernière famille est celle des Carondelet.
Il s’agit d’une grande famille issue de la Bresse dont l’un des membres fut conseiller de Charles Quint et Prévost des chanoines de Seclin. N’oublions pas que Charles Quint cumulait les titres : empereur d’Allemagne, roi d’Espagne, duc de Bourgogne et bien sûr comte de Flandres.
Les armoiries des Carondelet se déclinent ainsi :
« d’azur à la bande d’or accompagnée de six besants d’or mis en orle »
Ces armoiries sont devenues celles de Potelle dans l’Avesnois, de Bantouzel, d’Aulnoy les valenciennes.
Signalons enfin que lors de la décoration de l’église de Thumeries en 1950 l’abbé Prévost, peintre décorateur, a reproduit dans la chapelle latérale droite 4 armoiries, celle de l’évêché de Noyon, celle de Saint Piat, celle de la châtellenie de Lille et celle des Carondelet.
Le même artiste a peint derrière l’autel de la même chapelle deux paysages de Thumeries, l’église et l’usine, agrémentés de deux écus inventés par lui à la mode des artisans de l’ancien régime, représentant une herse, (symbole de l’agriculture) et une ruche, pour faire allusion à l’industrie sucrière.
[1] La fasce est une pièce centrale de l’écu occupant environ 1/3. La cotice est une bande généralement verticale plus étroite.